Friday, December 14, 2012

Le retour musclé des nationalistes nippons

Shinzo Abe grand favori des élections 2012


Après 3 ans d’absence d’un long règne de 55 ans, depuis sa défaite aux élections législatives du 30 août 2009, le parti conservateur japonais mis en place au Japon après la seconde guerre mondiale, le Parti Liberal Démocrate 自民党 dirigé aujourd’hui par un “héritier” Shinzo ABE (prononciation Chinezo Abé) est donné gagnant dimanche 16 décembre pour les législatives anticipées. Monsieur Noda, le démocrate venu de la haute fonction publique, a jeté l’éponge face au barrage du travail parlementaire par les obstacles procéduriers des conservateurs. 


Le PLD est prêt à reprendre le pouvoir selon les sondages. Le chef du parti conservateur Shinzo Abé est déjà donné gagnant par les grands médias nippons, l’agence Kyodo évoque 300 sièges sur un peu moins de 500, face aux 10 autres partis, centristes, centristes de gauche, le parti écologiste du Gouverneur madame Kada, et le PCJ. Le Parti Communiste a une originalité, il ne change pas et est le seul à correspondre aux partis occidentaux en ce sens qu’il applique une grille de lecture politique semblable au PS francais ou aux communistes Italiens. Il présente autant de candidats que la droite conservatrice avec 100 fois moins de budget. 

Cette année 2012, on note aussi la diversité avec une bonne demi-douzaine de petits partis politiques nés de l’air du temps, genre “révoltés” face à l’immobilisme nippon ou en colère face aux politiciens traditionnels à la botte d’intérêts économiques (les tributs). Souvent ils sont les porte-voix et simples instruments de la haute fonction publique japonaise et des grands groupes industriels. On croit revoir l’émergence des Zaibatsu, les conglomérats d’avant guerre, avec des pantins attrayants placés au premier rang.

Ce qui marque une intéressante évolution de la vie politique c’est que les sondages ont forcé la main aux électeurs japonais dans leur choix jusqu’à ce jour. Les médias japonais ont donné, sans que l’on sache exactement pourquoi, l’avantage au PLD. Vont-ils réussir? Depuis plusieurs mois, depuis le printemps 2012, ce parti PLD est mis en avant comme parti recours. Hier, il y a 3 ans, il était détesté par les mêmes électeurs pour ses recours permanents à la corruption et aux vieilles recettes du “Pork barrel policy” (projet de construction publique local financé par le gouvernement central) de façon exagérée. Autre parti en vogue selon les publicitaires qui investissent le territoire politique: les patriotes-nationalistes du Parti de la Restauration Japonaise du bouillant ex-Gouverneur de Tokyo Shintaro Ishihara et du non moins bouillant maire d’Osaka Toru Hashimoto.

Tout cela signifie par conséquent un retour musclé des néo-conservateurs nippons. Grands thèmes politiques mis en avant par les médias japonais: la taxe à la consommation japonaise qui va doubler, 8% en avril 2014 et 10% en Octobre 2015. 2015 est peut-être la date de retour des démocrates au pouvoir. 

Car aujourd’hui il subsiste des désaccords dans le camp conservateur. Le PLD est désuni sur le TPP, un accord de libre échange avec les Etats-Unis, sur le nucléaire depuis Fukushima qui provoque l’inquiétude des électeurs locaux, sur la résolution de la crise diplomatique avec les voisins asiatiques sur des litiges territoriaux, avec la Chine et les Senkaku Diaoyu, et la Corée du sud avec Takeshima Dokdo. Et sur la Corée du nord avec les lancements répétés de missiles-fusées de la RPDC, dont le dernier en date cette semaine qui a propulsé prématurément la Corée du nord dans le club des nations équipées de missiles ballistiques. 

Le programme des faucons élus dans les grandes villes japonaises au sein du PLD vise notamment aux modifications de la Constitution afin de faire du Japon une nation plus militarisée, plus compétitive aussi a l’égard de la Chine, plus nationaliste. Abe veut créer une armée et non plus se contenter de Forces Japonaises d’Auto Défense. En économie, Mr Abé lance d’étranges chants aux marchés financiers, et entend “faire de l’inflation”, environ 2 ou 3 % pour relancer l'économie, la croissance avril juin était en contraction de 0.03%, il veut asservir la Banque du Japon à son programme politique. “Le Gouverneur de la Banque du Japon est prié de rejoindre le conseil d”administration” de Japan Incorporated, a-t-on entendu durant les débats électoraux.

En Asie cette élection est vue comme importante. Et le Japon? Les japonais sont-ils gavés de politique et de matérialisme (relire Lafcadio Hearn-Yakumo Koizumi 小泉 八雲) au point qu’ils ne font pas confiance en leurs dirigeants politiques et les traitent comme des acteurs d’un show télévisé ininterrompu? 


Le vote a été boudé ces dernières années et il a fallu l’accident nucléaire de Fukushima pour dynamiser l’activisme en politique. Activisme bientôt récupéré par une myriade de petits partis afin de capter les votes des japonais qui accordent leur suffrages, les familles, les jeunes, et les mères surtout, aux “anti énergie nucléaire” entrés en guerre pour longtemps contre l’industrie atomique et contre Tepco et ses clones comme des Don Quichotte allant affronter de gigantesques moulins a vents. Les japonais ordinaires ont fait de Hiroshima un symbole contre l’arme atomique, Fukushima est devenu un symbole contre l’énergie nucléaire après le tsunami de mars 2011 et Fukushima qui inquiète toujours considérablement, entre contamination de la chaine alimentaire, et l’absence de transparence de l’industrie atomique qui pousse à redémarrer des réacteurs vieux de… 40 ans ou construits sur des failles sismiques, ou au recyclage des déchets, pour en faire quoi exactement?

Le Japon montrera plus fermement encore sa défiance face aux nucléaire les années venant. Vivre au Japon et se rendre régulièrement dans le Tohoku suffit pour s’en rendre compte, ce que rappellent fréquemment, chaque jour même, les constants tremblements de terres. Le dernier faisait M7.3 il y a quelques jours. Il a provoqué 6 heures d’intense anxiété! Paris m’avait appelé par 2 fois tant les télex crépitaient, je savais par expérience que cela serait vite stabilisé, sauf peut-être sur les sites industriels du nord, sur le littoral, sur les centrales nucléaires. Le gouvernement Noda s’est montré à la hauteur, cette fois. Les japonais ont repris leur vie quotidienne. En fait nul ne sait pourquoi la température est brutalement montée sur la centrale de Fukushima ce jour.

En effet les japonais sont plus intéressés par le quotidien que par les litiges internationaux. Les japonais attendent qu’on leur parle de travail, de salaire, de santé, de retraite, de sécurité, de Fukushima et surtout de modernisation de la société, du rôle accru des femmes, du vieillissement de la population.

Shinzo Abe c’est aussi le TPP, accord de libre échange avec les USA, ce qui pourrait faire de l’ombre au projet européen. Les économistes et les hauts fonctionnaires japonais disent que les grandes lignes du programme de monsieur Abe ne sont qu’effets de manches pour extraire les votes allant naguère aux démocrates du PDJ de monsieur Noda.  

Les alliés américains ne seront pas mécontents si le PLD qu’ils ont créés après guerre, met un terme à l’aventure réformatrice du PDJ qui a bien failli les menacer et en cela leur influente présence militaire et politique en Asie et leurs bases du Japon, particulièrement sur Okinawa avec 50.000 forces armées et les Marines expédiés sur l’Iraq ou l’Afghanistan ou la Chine ou la Corée, les Philippines ou “protégeant” l’archipel par une alliance militaire qui se cherche dores et déjà un second souffle. Washington demande à Tokyo un coup de pouce dans la défense collective face aux montées d’influences des chinois et des russes en Asie du Nord-Est et dans le Pacifique et la pression mise par la Corée du nord.

Quoi qu’il en soit… tout cela ressemble à une grande partie de poker menteur car l’interdépendance économique, industrielle et commerciale des chinois, taïwanais, coréens, japonais et russes (le Japon discute ferme LNG et stockage de déchets nucléaires avec les russes) en plus du leadership américain sur la région, ne semble pas en mesure de mettre un terme à la lente ascension de la région asiatique en un devenir de nouveau poumon économique global qui ne devrait pas connaitre trop de sursauts culturels et politiques. A moins que...

Essouffler les chinois est donc aujourd’hui la priorité de l’axe Washington - Tokyo. Les conservateurs japonais du PLD ou du PRJ s’agitent en donnant des coups de coudes aux voisins venus d’un communisme orthodoxe et nouvellement séduits par le chant des sirènes du capitalisme d’Etat. Les grands patrons industriels et les banques d’Asie du Nord-Est ont pris leur billet pour une intégration régionale Asie Pacifique. Pour preuve la reprise des discussions depuis 15 jours sur un accord de libre échange Asie Pacifique. Pas très bon pour l’Europe tout cela.

Les japonais pendant ce temps vivent aujourd’hui comme il y a 20 ans, sauf que la crise et la sécheresse des somptueux budgets d’Etat ont fait évoluer les caractères, suscités davantage de responsabilités et de créativités. Les japonais engoncés dans leur groupisme insulaire les rendant hermétiques aux yeux des “non-japonais” se préparent aux jours difficiles. L’épargne est colossale, si importante que des politiciens parlent, comme Ishihara le fait, de contraindre les japonais à investir dans leur économie. Ce que font les banques et entreprises néanmoins dans l’achat de Bons du Trésor. 

On parle depuis l’étranger d’une crise de société, en réalité une crise que l’on ne voit pas au Japon. Il n’y a pas de pauvres dans les rues. Le luxe se maintient dans la capitale, Cartier est venu de Paris au grand complet pour lancer sa dernière montre chic à Tokyo cette semaine! Il y a peu de chômage au Japon, 5%, même si la situation est en réalité plus grave dans les régions. Ce qui explique l’appel lancé par le “Destroyer” Ichiro Ozawa cette semaine, à mon press club, pour “lutter avec courage contre le système clanique de la bureaucratie japonaise” et décentraliser vite! 

Les jeunes créent, il leur faut quelques semaines de recherches pour trouver chaussures à leurs pieds, ils trouvent du vrai boulot pas forcement des jobs à vie, bref le Japon qu’on dit "exsangue" puisqu’il est endetté à l’égard de ses propres banques, dette égale à 2 fois ce qu’il produit en richesse, n’a pas été envoyé au tapis. Alors quelle est la recette de la 3e puissance économique mondiale?


L’avenir est loin d’être rose, la jeunesse japonaise est anxieuse. Sauf dans l'univers virtuel, dangereux miroir aux alouettes. C’est pourquoi, juste avant les élections, monsieur Shinzo Abe, le dirigeant des libéraux-démocrates qui ne sont “ni libéraux ni démocrates” mais qui sont devenus refuge des électeurs en quête d'idéal, pas forcément la majorité des japonais, et d’un parti sur la voie du nationalisme pour cause d'inflammation médiatique depuis les Senkaku, ira s’adresser devant la Mecque de la jeunesse japonaise à Akihabara, Tokyo. Le royaume des Manga et des Anime, des AKB48 de la J-Pop, mais aussi haut-lieu des illusions du virtuel renvoyant aux électeurs l’image d’un Japon menacé et attaqué de l’étranger. Abé va pêcher le vote "Otaku"...

Pour séduire la jeunesse pop japonaise, Shinzo Abe va-t-il se transformer en “fan” du danseur chanteur rapper “Psy” et de la mode Rap Gangnam Style pour séduire la jeunesse nippone d’Akihabara qui pour l’heure ne se reconnaît pas le moins du monde en cet “héritier” d’une famille politique qui a toujours “couché dans le lit” de la puissante Amérique depuis 1945, disent ses propres ennemis au sein du PLD?

Le PLD de monsieur Abe devient la force obligée, le miroir déformant dans lequel les électeurs ont été contraints de se voir grâce aux pressions quotidiennes des 5 grands journaux nationaux et des 5 grandes télévisions japonaises sur les électeurs. Suprême manipulation? Le Japon aura lundi son 7e premier ministre en... 6 ans!